Au travers l'Histoire, les éléments éphémères s'effacent dans le bruit du temps, alors que ce qui vit durablement laisse sa trace sur les images du temps.
L'ubiquité n'existe pas que dans l'espace, mais bien dans toutes ses dimensions, tout comme au même endroit vit le passé, le présent et le futur.
Je me promène dans le quartier Wemtenga, autrefois village Mossi, situé au nord-est de Ouagadougou. Je suis avec le petit Sébastien. Arrivés devant une grande cours qu’il pointe du doigt, il me lance :
- Ici, c'est le Naba.
- Le Quoi ?
- Le Naba, c'est le chef du quartier.all
Ce que j'apprécie avec les enfants c'est qu'on apprend très vite les choses essentielles.
- Il prépare quoi ?
- Demain il fête son 12è anniversaire.
C’est un rendez-vous.
Lendemain matin. Je suis accompagné des mes amis, I.B et Ousmane.
A peine arrivés devant la cour, un coup de mortier retentit à deux mètres de moi. Mes tympans explosent, mes oreilles sifflent et je mets 10 bonnes secondes à recouvrer la vue. J'en ai perdu mon chapeau. Des filles ricanent allègrement. I.B, lui, a pris la fuite...
Dans la cour on peut entendre des chants, on nous invite à boire un coup. Il fait une chaleur écrasante, j'enfile les Fantas. La bière, qu'Ousmane semble apprécier, me paraît à cette heure là, tenir du suicide. On aperçoit des danseurs en habits traditionnels Mossis.
Leur danse est très rythmée, ils portent des casques sur lesquels je reconnais des Ojos de Dio que l'on retrouve aussi dans la culture latino-américaine.
Le plus grand d'entre eux, « un Peul » me dit Ousmane en déduisant son origine d'après son fasciés, ouvre grand ses yeux, me fixe et s'approche de moi. La musique s'intensifie, je suis pétrifié. Je rigole mais en vérité je suis mort de peur. Il ne me lâche pas des yeux, écarquillés, et me rappellent le regard des gens sous amphétamine. J'ai envie de danser à mon tour, pour lui répondre, mais je doute que ce soit approprié.
On me souffle dans l'oreille :
- Il faut que tu le travailles!
Le fameux farotage. Dans cette fête je suis le seul blanc, et ma couleur de peau lui laisse penser que j'en ai plein les poches.
- Mais... j'ai rien sur moi!
M'en allant chez le Naba Ligdi, littéralement « le naba qui a de l'argent», il ne m'avait pas semblé judicieux d'en prendre sur moi.
La rythmique est a priori aléatoire mais petit à petit je découvre une polyrythmie que j'affectionne depuis des années : le « deux pour trois ». Un danseur joue des croches avec des pièces de métal tenues entre ses mains (son de cloche), tandis que les deux autres danseurs l'accompagnent en jouant des triolets de croches, sur des tambours coincés sous ses bras (des lungas si je ne me trompe pas).
On a ici la rencontre des rythmes binaire et ternaire. Je suis sidéré de découvrir un aspect musical aussi complexe chez...
- Prise de conscience : Chez qui? Chez quoi? Mh... et puis pourquoi pas?
Je me remémore une anecdote de mon ami guitariste Josué. Un jour qu'il pratiquait une de ses compositions, une "blanche" s'arrêta et marqua un silence (deux temps). Quand il eut terminé ses arpèges, elle lui lança « Dis-donc tu joues comme un blanc ! ». À son tour de s'énerver : « Vous les blancs, vous volez notre musique, et après vous dites qu'on joue comme vous »
Je m'approche d'une grande dalle blanche sur laquelle des enfants dansent et rient. Je m'assois près d'eux, ils jouent avec mes cheveux. Après un moment je me lève et les rejoins en essayant de danser comme eux. Eclats de rire. J'aperçois une pierre avec des inscriptions. Il y a un nom, suivi de deux dates...
- Mais... On danse sur une tombe!
On a le droit?
Les enfants ne comprennent pas ma question. Rires encore.
C'est dingue.
Moi aussi quand je serai mort je veux qu'on me transforme en piste de danse, que les arrières-petits enfants de mes petits enfants viennent célébrer en mon endroit.
Il s'agit de la tombe de l'ancêtre de la famille où est enterré l'ancien Naba.
Je descends, m'apprête à quitter les lieux quand le chant d'un vieillard retient mon attention. Je m'assois près de lui, imité par les enfants qui jusque là ne se souciaient pas de lui.
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Le vieux est assis sur une natte, au pied d'un arbuste. Il est aveugle. Il cogne sur une tige en
métal de manière saccadée à l'aide de bagues enfilées aux doigts. Il chante en moré.
Dans l'assemblée juvénile, je me trouve un interprète.
- Il dit quoi?
- Euh... (se concentre) il cite le nom des ancêtres du Naba.
- Ah, c'est une sorte de généalogie?
(regard muet) L'enfant dit oui pour rester poli.
- Et il fait ça depuis quand?
- 150 ans.
L’enfant s'adresse au vieux. Celui-ci tend une main au hasard, je lui donne la mienne. Il pose des questions, l'enfant traduit, nous faisons les présentations.
Je lui dis que j'aime beaucoup son chant. Il m'invite à le filmer. Par chance, j'ai apporté mon micro, et un crayon.
Epilogue :
Avant de quitter je « croque » le visage du danseur. Ils sont assis, se reposent d’avoir danser une journée sans s’arrêter. Encre de chine, à la Pratt, silhouette noire et fond aquarelle.
J’appelle mon « interprète »
- Dis-lui qu’il m’a transmis son art, et qu’en échange je lui transmets le mien »
Je lui tends le dessin, en posant un genou pour m’incliner. Il semble ravi et balbutie un « Merci beaucoup » dans ma langue. Je lui réponds en moré : Barka ! Un hôte s’interpose rapidement entre nous, apparemment contrarié. De toute la journée, personne n’avait adressé la parole aux danseurs. Sans doute ai-je franchi un tabou.
De toute façon, je n’ai jamais été très bon avec les traditions.
Pourquoi jamais est né du projet Le Cadeau en 2008, un projet vivant, collectif, différent, mêlant les disciplines, les gens de tout genre et de toute genre de professions, cherchant à faire participer les spectateurs, à les faire lever, marcher, discuter, interagir, se regarder, se questionner, s'entrevoir, s'épanouir, s'ouvrir… un projet qui cherchait à demeurer simple, à stimuler des idées, à nourrir l'engagement, à rassembler et à troubler la créativité. C'était aussi un groupe d'ami-e-s et de connaissances… et c'était son reboutement existentiel (si ça exige comme mot, c'est le premier qui vient).
Le Cadeau a été réalisé dans un cadre scolaire, un contexte de prétextes (ce qui a pu consigné créativement quelques’un-e-s des participant-e-s avec les contraintes que l'on connait du milieu académique… les résultats vérifiés, les notes… il s'agissait d'un stage expérimental de fin d'études en médias interactifs à l'UQAM). Le Cadeau se voulait tout de même engagé socialement et politiquement sur le monde, les organisations, la culture, l'art, l'Amérique, les choses, le capitalisme… et le projet touchait l'enjeu des personnes âgées et des conditions qui épuisait l'héritage de ces dernières dans nos sociétés (ces sages personnes brûlant dans des centres institutionnels). Le projet touchait les personnes en général, toi, moi, qui ne vivons pas que pour mourir.
Le Cadeau a pu enflammer une bataille artistique, profonde et active (voir profondément activiste) autour de cette question qu'il fallaitt répondre éventuellement : Pourquoi jamais (sti !) ? Après Le Cadeau, l'on voulait qu'il se développe du « plus », des actions, des réalisations, des créations, des percés, des rêves ! Le projet avait fondé un collectif de création interdisciplinaire et social dans la volonté de nourrir un syndrome conducteur, voire une maladie infectieuse et transmissible.
L'idée initiale du site Internet
À la fin du projet Le Cadeau, à l'hiver 2009, les membres qui avaient participé au projet se sont rencontrés pour partager le bilan de de leur expérience. Il s'agissait d'un moment important pour faire le retour sur le développement du Cadeau, sur ces bons coups, ses mauvais coups… mais il s'agissait aussi d'un moment pour situer la suite et se poser des questions profondes. Est-ce que Pourquoi jamais voulait continuer à nous exister ? Et sous quelle forme ? C'est alors que les personnes présentes à ce bilan ont signifié leur intérêt à continuer à animer le collectif. Nous voulions commencer à nous donner des formations, nous impliquer dans notre milieu et créer des projets stimulants sans trop d'excès en vue d'entreprendre des projets de plus grande envergure dans les prochaines années (ou peut-être que ce n'était pas ça le but… en tout cas, ce fut ma compréhension !) De là est venue l'idée de confectionner un site Internet pour assurer le lien entre les membres et potentiellement développer des outils de création pour les années à venir (en attendant de reprendre notre souffle). On a décidé que ça allait être un « .com » et on a décidé d'investir du temps dans le projet. Outre le fait d'apprendre à confectionner un outil web, on souhaitait comprendre et vulgariser le langage des réseaux sociaux (que seule une minorité a souvent accès) et permettre à un grand nombre de gens, se regrouppant autour d'intérêts communs, d'utiliser des outils technologiques permettant l'interaction.
ancien.pourquoijamais.com : un lieu d'échange et de création pour enrichir le lien collectif
Les lieux pour regrouper les gens pour créer ne sont pas toujours accessibles.
Confectionné à partir de l'été 2010 jusqu'à l'été 2011, de Berlin à Montréal avec l'aide de plusieurs personnes (à travers le voyage, des rencontres et la mobilisation sociale européenne), ancien.pourquoijamais.com est une plate-forme facile d'utilisation pour mettre en marche, concrétiser et promouvoir la création collective. Il s'agit d'un espace libre pour les membres (ces derniers peuvent publier eux-mêmes du contenu). Le site permet la publication d'ébauches, de créations, de textes, d'analyses, de critiques, de contenu multimédia, d'oeuvres collectives, interdisciplinaires, de liens ou d'événements. Le site se veut un réseau social, un endroit pour rassembler, développer, encourager, mettre à nu, favoriser la confiance et oser entreprendre des choses dans l'authenticité. L'on retrouve aussi à l'intérieur du site un historique des réalisations de Pourquoi jamais et des documents traversés par les médias.
Des grands mercis
Des grands mercis à Damien, Isabelle et Francis qui ont su aider à conceptualiser le site Internet de façon grandiose… à mettre en image ce qui ne pourrait être que programmable. Merci à Gab pour le référencement. Merci à Sophie, Julie, Jörn, Loïc, Andrée, Louis-Philippe, Mireille, Audrey, Yan, Véronique, Myriam et Sébastien pour leurs conseils de fou, leur critique et leur présence d'ami-e-s (si j'en passe, ne vous en faites pas, je vais vous rajouter au fur et à mesure…). Merci à Marc-André de nous héberger, de nous faire sauver des coûts et pour ces aides incontournables de programmation web. Finalement, merci à tou-te-s les blogueur-se-s et à la communauté de Drupal (Drupal est le logiciel libre utilisé pour créé le site Internet). Ces gens virtuels, via leurs tutoriels gratuits forts amusants, nous ont appris de « A à Z » à confectionner le site Internet. Maintenant, arrêtons les mercis, car tout cela n'est fait que collectivement.
À l'étincelle qui nous habite !
PS : À toutes les personnes qui ont envi de participer à ce rassemblement... à cette unification interdisciplinaire, créative et engagée... à participer au sein de Pourquoi jamais ou à interagir via le site Internet... écrivez-nous !