La goutte d’eau descend le long du drain. Elle fait un bruit, puis une autre goutte prend le relais. Le ciel est gris. Hier, il a plu malgré le froid. Le vent frappe la tôle de la maison et les secondes s’éclipsent. Une autre goutte d’eau s’engouffre dans ce chemin sans fin. J’enfile un bas dans le mauvais pied. Le son de l’eau m’agace. Je marche jusqu’à l’évier et tourne très fort le robinet. L’eau ne s’arrête pas. Je regarde la goutte suivante suivre lentement son parcours. Dehors, l’arbre sans feuilles caresse la pluie. Il pleut si finement que bientôt l’eau se transforme en léger grésil.
Il y a des jours qui passent sans faire de vacarme. Ils s’effacent tranquillement du calendrier. Un jour de plus. Comme cette nouvelle goutte d’eau. J’ai réalisé que je n’attendais personne et que cela m’était indifférent. Je regarde le chat. Il ne réclame rien. Il dort, il doit dormir des heures. Il passe le temps. Je me demande parfois à quoi il rêve. Et zut! Une autre goutte d’eau fait son chemin. Imperturbable, la garnison des gouttes d’eau semble sans fin. Je me gratte la tête et remarque que j’ai juste un bas. J’ai oublié d’enfiler l’autre.
Combien de gouttes d’eau faudrait-il pour me noyer si le drain devait se boucher? Combien de secondes devrais-je affronter avant que l’appartement ne soit complètement submergé? Voir soudain les fondations se fendre et la maison se refermer sur mon appartement. J’imagine que cela n’aurait pas vraiment d’importance. Pourtant, il y aurait une étude à faire. Pourquoi la dernière goutte d’eau qui a tout fait s’écrouler a-t-elle commis ce crime? Raison d’État? Moment de folie? Louve solitaire? Délinquance juvénile d’une simple goutte d’eau? Au mauvais endroit au mauvais moment? Je vois d’ici un panel d’experts se poser la question sur les motifs profonds ayant poussé la goutte d’eau de trop à accomplir son méfait devant un animateur subjugué.
Je prends le bol d’eau du chat et je le remplis. Peut-être que les gouttes d’eau cherchent juste un sens à leur vie. Le chat a entendu un bol faire du bruit. Il rapplique dans la cuisine. Non! Juste de l’eau, mon ami. C’est l’austérité et il faut faire avec. Sinon, fait comme nous et trouve-toi du travail dans le domaine de la souris. Il paraît que d’autres chats on fait la passe dans ce secteur. Pas pour toi, le travail? Je sais. J’ai un chat sur le bien-être social. Un chat qui attend chaque soir son repas comme d’autres le chèque de la fin du mois.
Il est tard, il fait noir dehors. On avançait l’heure pourtant. J’ai décidé de couper l’eau. Je ne veux pas voir le plombier. J’ai acheté une bouteille d’eau. Je vais enfin pouvoir dormir.
( Merci à mon père pour les idées)