Blogue compulsif

Perspective(s) d'une rencontre

Ce que les autres pensent, comment ils nous voient, ce qu’ils veulent bien entendre dans nos mots, et ce qui leur échappent aussi ; l’accès aux perceptions des autres, impossible mais à quelque part source d’un désir ambivalent.

Le Dieu de l’ubiquité assiste à la première rencontre entre Simon et Henriette, deux Montréalais qui n’ont en commun que la recherche de l’amour et un serveur qui les fixe pendant qu'ils discutent…

Notes techniques:

Ceci est un premier essai de profiter de HTML 5 pour avoir des animations interactives en utilisant Processing. Au début, le JavaScript précharge toutes les images nécessaires, donc en fonction de votre connection internet, ça pourrait prendre un peu de temps avant que tout s'affiche comme il le faut (normalement moins de 5 sec).

L'oeuvre a été testée avec Chrome, Firefox et Internet Explorer.

La durée totale est de 5 min 40, et il est impossible d'avancer ou de reculer la vidéo. Pour apprécier toutes les perceptions, il faudra donc revoir la vidéo (en rafraichissant le site web, vous reviendrez au début).


Cliquez sur l'image pour ouvrir l'animation (sur laquelle vous pourrez interagir à l'aide de la souris):

rp 2014.09  

Ubiquité Temporelle

 

Au travers l'Histoire, les éléments éphémères s'effacent dans le bruit du temps, alors que ce qui vit durablement laisse sa trace sur les images du temps.

L'ubiquité n'existe pas que dans l'espace, mais bien dans toutes ses dimensions, tout comme au même endroit vit le passé, le présent et le futur. 

 

Pour voir le résultat, rendez à ces lieux:

http://www.openprocessing.org/sketch/158719

http://www.openprocessing.org/sketch/158725

http://www.openprocessing.org/sketch/158729

http://www.openprocessing.org/sketch/158728

 



Fidèle compagne

Elle arriva dans un espace qu’elle ne connaissait pas. La douleur était enfin partie. Le poids du steak ne l’affectait plus. Elle se sentait soudain comme jadis quand la fatigue ne l’atteignait pas. Elle s’était trouvée sur le chemin d’un vieil abbé qui lui avait offert de l’eau d’une pureté qu’elle n’avait jamais encore osé imaginer. L’abbé était lui aussi enfin libre, il lui proposa de poursuivre le chemin avec elle. Il marchait vers le blanc immense et infini des espaces-temps lunaires. Elle cherchait son maître, mais il semblait que ce dernier avait dû rester derrière. Pourtant, elle savait que dans bien des années, il serait là lui aussi et que, comme avant, il y aurait encore cette grande table remplie de grands enfants qu’elle aimait tant. C’était la première fois qu’elle entreprenait un voyage en solitaire et la présence de l’abbé l’avait rassuré. Soudain, ils croisèrent un groupe de réfugiés, c’étaient des chrétiens qui dans la plénitude de l’espoir avaient entrepris eux aussi le grand voyage. Ils fuyaient les ténèbres. La lumière devint de plus en plus grandiose, d’une pureté sans faille. Les voix des grands enfants se faisaient de plus en plus lointaines et elle s’inquiéta une dernière fois pour eux. L’abbé lui fit signe, au royaume des justes elle entra.

92 premières neiges

Le soleil de nuit caressait mes joues creuses.

À la lueur du diamant doré, je me remémorais mes 92 premières neiges.

Le temps semblait s'écouler de plus en plus rapidement dans mes veines.

Bien enfoncée dans mon fauteuil d'acier, j'observais mon reflet briller dans la lucarne de ma chambre.

Une tignasse terne. Des doigts noueux. Un dos vouté.

À la lisière de mon existence, je ne puis m'empêcher de regarder derrière mon épaule. Et si je pouvais un jour revivre ma vie, que ferais-je autrement ?

Si je pouvais verdoyer à nouveau, je prendrais les choses moins au sérieux.

J'oserais embrasser encore plus fougueusement les fortunes de mer, les faux pas et les folies.

Je m'efforcerais de me sustenter uniquement d'ataraxie et mangerais moins de navets.

Si la vie s'élevait devant moi, je ne laisserais pas le fugace et frêle présent s'échapper.

Illustration: Évi Jane Kay Molloy

D'un ghetto à l'autre

« My nie chcemy ratować życia. Żaden z nas żywy z tego nie wyjdzie. My chcemy ratować ludzką godność »

(« Nous ne voulons pas sauver notre vie. Personne ne sortira vivant d'ici. Nous voulons sauver la dignité humaine »).

Izrael Chaim Wilner - Ghetto de Varsovie 1943 ( poète juif)

« Mais nous souffrons d'un mal incurable qui s'appelle l'espoir. Espoir de libération et d'indépendance. Espoir d'une vie normale où nous ne serons ni héros, ni victimes. Espoir de voir nos enfants aller sans danger à l'école. Espoir pour une femme enceinte de donner naissance à un bébé vivant, dans un hôpital, et pas à un enfant mort devant un poste de contrôle militaire. Espoir que nos poètes verront la beauté de la couleur rouge dans les roses plutôt que dans le sang. Espoir que cette terre retrouvera son nom original : terre d'amour et de paix. Merci pour porter avec nous le fardeau de cet espoir. »

Mahmoud Darwich ( poète palestinien)

Contes et légendes automatiques.

J’écris sur le papier de Damas, des vers, dans l’alcool.

 

Contes et légendes automatiques.

 

Sur la route du Nord, on trouve toujours des âmes perdues. Les soirs sans lune, je m’évade dans le creux des vallées. Je redeviens marchand solitaire et les astres s’alignent alors, corsaires. Je franchis la passe de nuit avec ma solitude comme une vieille habitude.

Ce monde n'était pas le mien. Je suis d’ici et pourtant d’ailleurs. Je me perds en certitudes qui se faneront aux crépuscules des rivières canalisées.

Je n’étais qu’un étranger dans mes propres terres. Les habitants ne pouvaient comprendre les chemins que j’avais parcourus, pendant que lentement ils labouraient la terre de leur ennui. Comment pourrais-je libérer les âmes perdues du cimetière des larves chaudes de la chute d’un empire?

Mon âme avait dévoré la plus pure des particules élémentaires. Je cherchais l’église, au moment où les étoiles s’effacent du sol. Quand tous mes possibles se seront évanouis dans des espérances vaines, je descendrai au puits du lac des abîmes en quête d’absolu. Mon âme sera en lambeau et le sang qui coulera sur mon front servira d’encre pour les noirs parchemins. Je commettrai alors le pire des péchés : démasquer l’invisible.

Je sentais le froid du vent des éternités sur mes épaules. L’absence de chaleur était horrible. L’angoisse, la peur de briser les os de ma vie déjà égratignée, celle qui vous prend avant de commettre la tristesse, cette angoisse précise, quand l’épiphanie se révèle. :A la vue des esprits des chasseurs Algonquins, je compris qu'il était temps de fuir, car ils soufflaient le bruit des loups. Ils dansaient devant moi comme des lucioles attirées par l’odeur des sacrifices commis dans l’aube démystifiée.

Je quittai la vallée, un jour je serai peut-être ici encore chez moi. Le soleil engouffra l’ambiance, et la vallée s'estompa.

Je suis si grand

Je suis si grand que vous ne me voyez plus quand vous passez près de moi. Je suis celui qui fait partie de la faune urbaine, celui qu'on voit sans vraiment le voir. Je connais mon royaume comme ma poche trouée. J'en parcoeur chaque coins et recoins dans vos heures de fermetures. Je suis au niveau du sol, sous le regard des passants. Je pourrais aussi bien être une roche ou un vieux marteau rouillé. Je suis le roi des ruelles, celui qu'on abat quand il vous dérange.

Je pourrais être ailleurs, je pourrais même être quelqu'un d'autre. Je suis ici, je suis partout à la fois.

Travailleur.

Peut-être que je suis toi qui me regarde avec dédain en me lançant quelques pièces du bout des doigts, me regardant à peine, pressé. Fermant les yeux, espérant que je ne sois plus là au réveil.

Mais moi je reste là, sur mon petit bout de trottoir, toujours le même, beau temps, mauvais temps, à tout les jours du possible... Toi, tu pars et parcours la ville d'un bout à l'autre, tous les matins et tous les soirs, cinq fois par semaine et parfois même davantage... Mais au final...

Toi qui travaille.

Vagabond!

Toi qui s'en va, sac au dos, repousser les frontières de l'ignorance.

J'ai ton visage et tu as le mien. Es-tu meilleur que moi? Peut-être as-tu pris un tournant différent, peut-être as-tu eu la chance que je n'ai pas eue. Je suis aussi le reste d'une âme abandonnée, la conséquence d'une suite de mauvaises décisions.

Étudiant.

Qui sait peut-être hier étais-je celui qui lançais du bout des doigts quelques piécettes en ne regardant pas ce visage qui ne me demandait qu'un peu d'aide, un simple sourire.

Je suis si grand que vous ne me voyez plus quand vous passez près de moi. Je suis celui qui fait partie de la fresque urbaine, dont on fait peu de cas ou qu'on méprise. On me confond avec ces murs gris. Sales. Serais-je un jour assez humain pour vous? Je suis le roi des ruelles, celui qu'on ne remarque pas à moins qu'il vous dérange. Je suis un étranger dans ma propre vie.

Va-nu-pieds.

Hier encore, j'étais cet étudiant qui allait s'emplir la tête de belles idées, de théories. Cet étudiant la tête emplie de rêves, cet étudiant au cœur plein d'espoir et plein d'amour.

J'ai été ce travailleur, celui qui jour après jour s'en va vers sa misère, sans trop penser à soi ni aux autres, sans même regarder autour de lui, comme le mouton qui suit ses congénères dans trop se poser de questions. Sans même se voir là assis par terre en train de demander l'aumône aux passants qui déambulent sans le voir. Ce pouilleux qui vous embête. Qui vous répugne.

Penseur.

On me croit dangereux, parce qu'on ne me connait pas, parce que je n'ai plus de restriction sociales, plus de limite civique, bref, plus rien à perdre de plus que ton mépris... Peut-être que je me retranche dans ce château de carte un peu bancal pour oublier à quel point j'ai mal. Mon air sauvage cache peut-être autre chose. Qui dit qu'hier encore je n'étais pas assis au même restaurant que toi, en train de rire avec ma famille et mes amis.

Rire de ce monde, de cette vie qui s'écoule, de mon temps qui s'écroule.

Toxicomane.

Et si j'étais seulement le fruit pourri de votre imagination?

Payeur de taxe.

Et si ces vêtements dépareillés qui vous paraissent trop grands ne l'étaient que parce que c'est votre esprit qui est trop étroit.

Malade.

Et si j'étais vous, peut-être serais-je moins fou?

N'entendez-vous pas ce cœur qui bat sous la crasse, ce cœur plein d'espoir qui ne demande qu'à recevoir un sourire, l'attention d'un instant, la reconnaissance du statut d'être humain. Parce que j'ai choisi d'être encore de ce monde, même si je suis en marge, je suis ici, dans l'alinéa de la vie.

Bien vivant!

Bien sûr que vous alliez cracher sur mes vidanges avec vos vies d'anges!

Mon cœur se bat pour vivre. L'entendez-vous seulement?

Moi le roi des poubelles, que je suis gauche et veule... Si vous enleviez cette pelure de banane qui cache votre propre égout. Remplacez cet orifice qui ne sert qu'à me vomir votre margouillis.

Je suis ce roi étranger que vous choisissez d'ignorer.

Je suis si grand que vous ne me voyez plus quand vous passez près de moi. Je suis celui qui fait partie de la faunesque urbaine qui déambule et colore le paysage, je pourrais aussi bien être un caillou, un vieux débris, même cet outil depuis longtemps oublié, criblé de rouille par un polisson. Je pourrais être votre frère aussi...

Personne n'est à l'abri du sans-abri... La plupart n'ont pas choisi, ils survivent en marge de la vie en attente d'un paradis...

Je suis ce roi des ruelles, celui qu'on abat quand il vous dérange.

Le temps des absences

Le temps des absences

 

Le temps des baisers perdus

Le temps des printemps qui passent

Le temps des errances entrelacées de silence

Comme la neige qui fond au soleil des départs

De la passagère des aiguilles typographiques

Les sourires des temps passés s'évanouissent

Le temps de la solitude passagère du doute

Le temps de chercher à comprendre

Le temps des contemplations 

Des fontaines divinatoires

Le temps des étreintes rêvées

Le temps des années qui passent

Sur l’horloge des amours

Le temps des retours

Le temps de s’aimer éternellement 

7841

« Avec la force comme alliée, d'autres temps, d'autres lieux tu verras ! » — Yoda

Le grand voyage vers ailleurs qu'il avait entrepris le conduirait-il au désert sans fin? L'homme solitaire marchait le long des lieux qui s'entrelaçaient dans son existence. Absorbé dans les images qui entremêlaient les réalités diffuses. Les signes des passages temporels occupaient toute sa réflexion. Étrangement, ils étaient gravés sur les jardins de son observation. Une école primaire ou les enfants couraient le long des boisés. Jeu enfantin, autobus jaune, neige, hockey et autres souvenirs.

Il eut jadis un mouvement d'euphorie dans sa vie mélangée. Un grand salon ou les festins ne semblaient pas vouloir s'arrêter. Il était déjà vieux et il savait d'avance où les parcours de ses amis carnavalesques se dirigeaient. Il voyait, il savait et pourtant l'impitoyable et affreuse marque s'affichait toujours. Le compte à rebours, l'ennemi était déjà là. Assis sur son divan en face de lui, il le regardait. C'était un si vieil ennemi que l'homme avait pris l'habitude de ne plus l'écouter. Parfois, dans sa réflexion silencieuse avec ce dernier, ses amis s'approchaient et lui demandaient si tout allait bien. Il n'avait qu'un mouvement réflexe, il se devait d'être rassurant, ils ne pourraient comprendre les mondes que sa vision ouvrait devant lui.

Le mur vert lime affichait une foire, la foule anglaise s'approchait, les canards tournaient le long de l'étang artificiel. Un enfant tentait de trouver le meilleur canard. Et puis le son des manèges qui s'activaient. Elle n'avait aucun sens dans sa vie. Et pourtant elle était là. S'approcha, lui fit une étreinte et soudain, elle disparut. Le salon s'était rempli durant son moment d'absence. La foule s'activait, la musique, le son des amusements, les alcools et les jeux. La grande roue illuminée tournait dans sa tête. La musique, les clowns et les temps s'entrelaçaient.

Il croisait son regard, un déguisement un peu trop éméché. Quelques champignons le rendaient confus. Quelques années plus tard, la vitesse de sa voiture frapperait un arbre dans une courbe, seul et isolé, la mort ferait son œuvre, mais pour l'instant il était heureux et philosophait sur le sens des choses, bien installé sur la table adjacente au baril de bière.

Il entra dans les toilettes, le passage interdit vers l'au-delà s'ouvrit, la lumière diffuse que lui offrit le puits de lumière. Tard dans la nuit, le quatre-roues roulait bien vite dans le dépotoir, les signes s'affichent sur chaque sac de vidanges. Et puis, les arbres, la forêt et dans son milieu les astres l'éblouissent. Il vit une usine délabrée, finalement entouré par des loups. Un à un, dans la lumière, ils venaient lui porter révérence. Il comprenait que non loin de lui, observant en silence, l'ennemi ne pouvait rien, l'heure n'était pas la bonne.

La musique remplit de nouveau son âme. La bouteille de vin était vide. Il sortirait bientôt de son antre. Il devait redevenir l'hôte de sa soirée, celui que l'on s'attendait de trouver, celui-là qui trouvait toujours le moyen de changer les règles du jeu. Il croisa son regard, elle cherchait ce qu'elle pensait avoir trouvé. L'homme ne pouvait pas lui dire que dans quelques années, épuisée d'essayer de remettre en marche un amour perdu depuis des lustres, elle irait se jeter dans l'épuisement de tentatives vaines pour retrouver, un seul instant, le moment qu'elle vivait ce soir.

Soudain, une voiture folle traversa le salon. Il se reconnaît. Nous sommes quelque part, plus tard, bien plus tard, pourchassés par quelques voitures non identifiées. Il traverse une banlieue sans nom, chaque voiture porte un numéro d'un jaune différent. Il roule de plus en plus vite. Les paysages se transforment et les maisons de banlieue se dissolvent. Sa voiture freine. Il abat d'un coup de feu bien précis ses ennemis et s'affale dans le divan, personne ne semble avoir vu le danger.

L'homme se leva, et regarda son corps en mouvement sur la piste de danse. La musique était beaucoup trop forte. Comme d'habitude, les moments d'absences provoquaient des doublons dans les lignes du temps. Une étrange femme fantomatique, habillée en uniforme d'ouvrière lui donna une bière et s'évapora au son du piano.

Quand il sortit de nouveau de sa torpeur, la pièce était vide, les serpentins sur le sol, l'odeur de bière lui donna envie de quitter les lieux. Il sortit, passa devant l'église, il marchait vers le parc. Il termina sa deuxième bouteille de vin sur les tables de pique-nique. Il vit soudain, un vieil homme, canne en main, s'avancer vers lui, le son de sa voix inaudible. Derrière lui, l'homme, l'adversaire, l'ennemi. Le vieil homme s'affala. Le cœur avait lâché.

Le rendez-vous de Monsieur Jacques

 

Inspiré de l'article «Vous vous sentez seul? Louez un ami!» paru dans le Courrier international du 19 novembre 2013.

Moment publicitaire

Comme un doux son d’apocalypse, l’écho des pas gravait l’espace de la pièce. Je ne suis pas sûr de bien comprendre ce que vous voulez dire? Il semble qu’un léger malentendu affecte les syllabes lorsque vous tentez de me faire comprendre l’étendue des valeurs universelles qui se multiplient dans l’ordre logique de votre raisonnement. Il m’apparaît clairement comme impossible de souscrire aux apitoiements de votre être étalés ici. Il n’y a pas de malentendus, il y a des certitudes qui explosent le long de la vitre et votre logique non plus ne pourra pas vraiment résister très longtemps. Il n’y a qu’une chose de certaine : une bouteille de vodka ne se remplit pas. Et puis mon attention fut de nouveau attirée par son regard carnavalesque, sa démarche loufoque, son rire détendu, son ironie sans faille et surtout ses caresses poétiquement poussiéreuses. Bon d’accord, il faut bien l’admettre, nous nous sommes plantés. Fallait-il peut-être prendre la peine de dégriser quelque peu avant de commettre l’irréparable. Je ne vois pas pourquoi vous cherchez encore à fuir, ils sont déjà partout. La pièce est encerclée et dans quelques secondes, que dis-je, dans quelques microsecondes, la porte risque de voler en éclat. Mais nous voulions cela, non? Nous voulions absolument y être pour vivre ce seul et unique moment d’existence qui se cristallise, mais ils n’ont rien compris. Ils ont voulu rendre ce moment télésatellitaire, il voulait que cet instant soit dans l’espace pour leur permettre de vendre de la publicité. Un animateur en costume trois-pièces et une animatrice ancienne « top model » comme vedette d’un téléroman sur le pourquoi du comment. Il leur fallait donc mettre toute la gomme.

Dans le paradoxe de la fin des temps ou de la chute, le moment révolutionnaire est complètement détruit lorsqu’il se déploie dans l’espace. Il devient moment publicitaire. La machine l’absorbe et il devient marchandise de consommation, comme un tube de dentifrice, une marque de voiture ou encore un nouveau divan modulaire fabriqué en Chine avec un nom suédois. Ma chérie, nous allons dans quelques secondes devenir la première page d’un journal qui offrira la bande-annonce sous notre photo à la première compagnie marchande de passage. Ceux-ci sans aucune gêne s’annonceront avec nous. En fait, cela n’aura vraiment aucune importance. Voilà donc aussi toute la différence entre vous et moi. Je suis ici parce que je crois en vous et non parce que je pense que la situation changera grâce à un appel grandiose à la résistance du prolétariat. Pour moi, cela n’a aucune espèce d’intérêt et seule l’expérience pour l’expérience m’importe. Nous sommes la suite infinie du processus publicitaire. Nous sommes une marque de commerce, nous sommes une statistique de « focus group ». Que pense la génération postrévolutionnaire de son idéal tourmenté? L’animateur se retourne avec son sourire en dents refaites par un dentiste blasé qui trompe sa femme avec une étudiante, danseuse dans ses temps libres. Et il ose nous accuser du haut de sa chaire de prêtre « New Age ». Il faudra faire une étude statistique, convoquer le centre communautaire local, accorder à une intervenante bardée d’une maîtrise en anthropologie et une jolie paire de seins refaits par son amoureux qui l’aimait vraiment beaucoup, mais qui trouvait ses seins désespérément trop petits, mais je divague encore. Il faut me le rappeler, ma chère, je divague toujours un peu quand je parle trop. Elle trouvait, en effet, que je parlais trop. Il faudra bien lui prouver le contraire sinon je serai bientôt perçu comme tous les autres.

Elle regarda le banquier, me fit un sourire inoubliable et lui explosa la cervelle à l’aide de son bâton de baseball. Les otages, je crois, avaient compris qu’ils étaient près de la fin de la partie. Dehors, les sirènes de police s’activèrent. Dieu que je l’aimais cette fille.