Blogue compulsif

Rendez-vous avec moi

RENDEZ-VOUS AVEC MOI

Acryclique sur toile, 30'' x 36''


♦ J'ai pris rendez-vous avec elle plusieurs fois ce mois-ci.Nous avions trente jours pour nous retrouver. Je crois que nous n’avions jamais passé autant de temps ensemble.

Quand je l’ai rencontrée, elle m’a dit qu’elle préférait créer avec les autres ou pour les autres. Qu’elle aimait partager l’art et se laisser surprendre de ce que la création collective pouvait lui apporter comme surprise. Elle m’a également confié qu’elle ne se consacrait jamais à réaliser ses propres projets. Elle n’a pas su répondre quand je lui ai demandé pourquoi. Je crois qu’elle n’ose pas encore me le dire.

Je l'ai prise en photo. J'ai choisi un angle de vue, une perspective, une façon de la sentir. Avant tout, ce sont ses yeux qui m’ont touchés. Ils parlaient d’un vide.

J'ai observé tous les détails de sa peau, la profondeur de son regard absent et son iris absinthe. La composition de son visage, la taille de sa bouche et de son nez. La couleur de ses lèvres, la lumière qui s'y déposait.

Je l’ai jugé sans vergogne. Elle ne me regardait jamais, mais moi profondément et j'ai pu voir dans ses yeux l'ampleur de ses rêves.

Je reprendrai volontiers rendez-vous avec elle. ♦

 

Le Passage (Labyrinthe VII)

Et j’ouvris les yeux pour découvrir un espace hors du temps où tournoyaient les ombres violacées de la nuit en disparaissant rapidement à l’horizon. Dans ce lieu, d’un blanc immaculé, il n’y avait plus de murs, plus de salles, plus de palais, plus de temps. Même la cité avait disparu. Mes pupilles s’émerveillaient devant cette absence de contraste. Un faisceau lumineux éclaira mon visage, s’enfonça dans mon esprit et les certitudes des réalités multiples se matérialisèrent devant moi.

Le vent s’emporta, d’abord brouillon, puis de plus en plus fort, jusqu'à balayer la fondation des équations. Hors du temps, je naviguais comme un marin perdu au cœur d’une tempête sans trop savoir où se cachaient les récifs bucoliques.

Et puis rien, juste le vide et une pièce qui se précise. Un ovale, une chaise et des bruits d’enfants qui riaient autour de moi, mais je ne voyais aucune âme. Dans les séjours perdus aux îles souvenirs de jadis, il ne restait que des éclats d’images qui s’affichaient sur les blancheurs des astres qui m’entouraient. Lorsque l’on traverse hors du temps, le sang cesse de couler dans les artères de la vie. J’affrontais le monde vide des blancheurs célestes.

Je repris contact avec la réalité du labyrinthe et j’aperçus un homme se diriger vers moi. Il dégaina son épée. Je le reconnus, c’était le prince. Il portait un grand complet de velours turquoise, son cou cintré d’un solide protecteur métallique comme chacune de ses jambes. Ses armoiries brodées se déployaient sur le devant du complet : deux grands scorpions, l’un noir et l’autre blanc.

Le passage que j’avais franchi avait modifié ma compréhension des mécaniques du labyrinthe. L’espace seconde plus tard, je tenais une épée et le velours turquoise caressait mes bras. Sur mon torse, deux scorpions s’affichaient en armoiries grandioses. J’étais en haut de l’escalier et tout en bas, le bal de l’impératrice battait à pleine mesure.

La salle de bal Labyrinthe VI

 

Et j’entrai dans la salle de bal, rapidement absorbé par une ambiance en complet décalage avec celle du labyrinthe. De grandes statues de marbre du prince taillées par les plus grands sculpteurs encerclaient le plancher de danse. Tout en haut, sur une mansarde de pierres anciennes, jouait un orchestre vêtu de grands vêtements de soie amples, confectionnés par les meilleurs tailleurs. Il jouait une musique douce qui brisa dans mon cœur la mélancolie accumulée depuis tant d’années d’errance dans les infâmes couloirs de la perte des sens. Cette musique nous fait oublier le temps qui fuit. Même le sablier des temps immortels s’écoule plus lentement. Les lois de la physique terrienne ne s’appliquent plus et les relations atomiques ne suivent plus l’échelle normale de l’évolution. Cette musique n’avait aucun son d’amertume, elle était parfaite. Pour la première fois, je constatai que le temps du labyrinthe n’était pas celui des hommes, mais bien celui de puissances qui ne se dévoilaient habituellement pas aux mortels.  

Derrière eux se trouvait un immense trône et je présumai qu’il s’agissait de celui de l’impératrice. Le trône était vide. Elle ne se trouvait pas là où je l’attendais. Dans un battement d’ailes, une réalité nouvelle s’offrit à mes yeux. Je croyais la salle de bal vide, mais en un espace seconde, elle fut remplie de convives. Toute l’aristocratie du labyrinthe dans sa splendeur, sa grandeur et sa supériorité se trouvait là, devant mon regard troublé par une apparition aussi soudaine.

Un serveur en smoking s’avança lentement vers moi, l’air méprisant. Il sait que je ne suis pas d’ici et il m’offrit ma boisson préférée dans un grand verre de cristal. Je pris doucement une gorgée, un peu comme un enfant incertain des conséquences de son geste. N’ayant pas été assez prudent, ma vision s’embrouilla, la salle de bal devint floue, grise et brumeuse. J’ai la tête qui tourne, je sens que la réalité s’effrite devant mon regard de simple passant ahuri.

Signalez !

Dans le cadre du festival Phénoména 2013...

Il est maintenant temps pour vous de signaler une disparition!

Image de lecteur audio 

 

Composez le 514-360-2202 !

Déjà une année s'est écoulée depuis l'intrigante disparition d'Erika Weisz dans la ruelle de la Sala Rosa lors du Festival Phénomena 2012...

Video du projet 2012 - Erika Weisz disparue

Dans le cadre de la nouvelle édition du Festival Phénomena, Pourquoi jamais met à votre disposition un système téléphonique interactif intelligent afin que vous puissiez toutes et tous signaler cette disparition mystérieuse et irrésolue.

Composez dès maintenant le 514-360-2202 (sans frais)!

Image d'une personne qui fait de l'affichage sauvage

Pour vous guider dans ce parcours insolite, Pourquoi jamais vous invite à vous procurer l'édition gratuite du journal LE MIROIR distribué largement lors du festival...

Image du journal LE MIROIR

À partir du mardi 22 octobre prochain jusqu'au vendredi 25 octobre dès 19h, un centre d'appel interactif sera d'ailleurs mis sur pied dans la ruelle de la Sala Rossa (4848, boulevard Saint-Laurent) afin de faciliter les déclarations insoupçonnées.

C'est donc avec plaisir que nous vous invitons à participer en direct à cette oeuvre comique, loufoque, absurde, grinçante...

Partagez dans votre entourage!

Consulter la page Internet du projet: http://www.ancien.pourquoijamais.com/contenu/701
Visitez notre événement Facebook:
https://www.facebook.com/events/666071433410510/

Personnes qui ont participé à la réalisation de ce projet:
Annabelle Petit, Anne Sergent, Audrey Poulin, Camille Toffoli, Damien Thomas, Daryl Hubert, Éric Gagné, Francis P. Paquin, Isabelle Caron, Jean-Philippe Boudreau, Jörn Nathan, Julie Aubin, Louis-Philippe Bell, Maxime Charbonneau, Mireille L. Poulin, Myriam Boivin-Comptois, Myriame Charles, Tiphaine Delhommeau et Yan Lavoie

Nuits Américaines

NUITS AMÉRICAINES

 

Nuits américaines

Néons et autoroutes

Miroirs des astres

Camions illuminés

Dans les « drives in » désertés

Croisement de routes

Poste de péage

Sur les dérives de l’existence

Annonce de perte de sens « un-huit-cents »

Désamour et désunion

Cigarettes à profusion

Panneaux fluorescents

Rouler jusqu'à perdre son âme

Rouler dans les plaines

Comme des cowboys du futur

Mourir de soif dans les murmures

Des cigales desséchées

Explosées dans la vitre verte glacée

De la Chrysler au moteur dégommé

Nuits américaines

Joint que l'on fume

Dans un motel sans étoiles

Vapeur d'essence

Moteurs qui tournent en boucle

Se perdre dans le sens

Dans la direction ou mettre les voiles

Se remettre en question

Pour faire diversion

Rouler jusqu'au carrefour de la dérision

Nuits américaines

Labyrinthe V: Le temple

 

Les feuilles d'automne qui tombent sont le reflet miroir de ma mélancolie. Alors que j'avance à reculons dans les méandres de la ville centre du Labyrinthe. Les alcools d'hier effacent les souvenirs tourmentés, ils effacent son visage de mon esprit. Je m'avance dans les couloirs qui mènent au palais de l'impératrice. Devant moi, deux gardes féminins entraînées pour tuer vos espérances les plus profondes se posent en gardienne du temple de l'oubli. Je n'avais jamais vue porte aussi grande que celle qui se trouvait devant moi. On m'avait informé que franchir cette porte était un point de non retour, que l'effet d'attraction du labyrinthe serait si fort que jamais plus je ne pourrais sortir du centre, que je terminerais ma vie dans une éternelle réflexion et que doucement, je perdrais le sens de toute réalité et même ma raison d'être.

 

Je tendis le triangle aux gardiennes de la porte. Elles affichaient le mépris de leur rang. J'affichais mon indifférence, l'invitation était valide, j'étais le seul invité de l'extérieur. Le seul assez fou pour accepter l'invitation de l'impératrice. La porte coulissa lentement.

 

Soudain, je fus pris de vertige. Les effets de la porte n'étaient pas ceux que j'attendais. Je vis une femme que je ne connaissais pas s'avancer vers moi. Je n'avais plus de passé, plus de futur. Je sentais mes connections nerveuses se détendre. Elle me fit signe de la main, je la suivis dans les corridors du labyrinthe intérieur. Ils étaient beaux, ornés de grands poèmes calligraphiés à l'encre de chine.

 

Nous arrivâmes à la porte de la salle de bal. Sur cette porte se déployait un poème écrit en lettre d’or :

 

Les ailes de l'ange de feu

Se posent sur mes yeux amoureux

Et je me dépose en larmes

D'amertume

 

Les ombrages de mes désirs

Qu'elle combat avec plaisir

 

Elle s'échappe de moi

Emportée par les feuilles d'automne

Dans ces arbres de soir je vois

Les miroirs de mes vadrouilles

Des éclats de verres m'embrouillent

La Fête du Naba Ligdi

Je me promène dans le quartier Wemtenga, autrefois village Mossi, situé au nord-est de Ouagadougou. Je suis avec le petit Sébastien. Arrivés devant une grande cours qu’il pointe du doigt, il me lance :

- Ici, c'est le Naba.

- Le Quoi ?

- Le Naba, c'est le chef du quartier.all

Ce que j'apprécie avec les enfants c'est qu'on apprend très vite les choses essentielles.

- Il prépare quoi ?

- Demain il fête son 12è anniversaire.

C’est un rendez-vous.

Lendemain matin. Je suis accompagné des mes amis, I.B et Ousmane.

A peine arrivés devant la cour, un coup de mortier retentit à deux mètres de moi. Mes tympans explosent, mes oreilles sifflent et je mets 10 bonnes secondes à recouvrer la vue. J'en ai perdu mon chapeau. Des filles ricanent allègrement. I.B, lui, a pris la fuite...

Dans la cour on peut entendre des chants, on nous invite à boire un coup. Il fait une chaleur écrasante, j'enfile les Fantas. La bière, qu'Ousmane semble apprécier, me paraît à cette heure là, tenir du suicide. On aperçoit des danseurs en habits traditionnels Mossis.

Leur danse est très rythmée, ils portent des casques sur lesquels je reconnais des Ojos de Dio que l'on retrouve aussi dans la culture latino-américaine.

Le plus grand d'entre eux, « un Peul » me dit Ousmane en déduisant son origine d'après son fasciés, ouvre grand ses yeux, me fixe et s'approche de moi. La musique s'intensifie, je suis pétrifié. Je rigole mais en vérité je suis mort de peur. Il ne me lâche pas des yeux, écarquillés, et me rappellent le regard des gens sous amphétamine. J'ai envie de danser à mon tour, pour lui répondre, mais je doute que ce soit approprié.

On me souffle dans l'oreille :

- Il faut que tu le travailles!

Le fameux farotage. Dans cette fête je suis le seul blanc, et ma couleur de peau lui laisse penser que j'en ai plein les poches.

- Mais... j'ai rien sur moi!

M'en allant chez le Naba Ligdi, littéralement  « le naba qui a de l'argent», il ne m'avait pas semblé judicieux d'en prendre sur moi.

La rythmique est a priori aléatoire mais petit à petit je découvre une polyrythmie que j'affectionne depuis des années : le « deux pour trois ». Un danseur joue des croches avec des pièces de métal tenues entre ses mains (son de cloche), tandis que les deux autres danseurs l'accompagnent en jouant des triolets de croches, sur des tambours coincés sous ses bras (des lungas si je ne me trompe pas).

On a ici la rencontre des rythmes binaire et ternaire. Je suis sidéré de découvrir un aspect musical aussi complexe chez...

- Prise de conscience : Chez qui? Chez quoi? Mh... et puis pourquoi pas?

Je me remémore une anecdote de mon ami guitariste Josué. Un jour qu'il pratiquait une de ses compositions, une "blanche" s'arrêta et marqua un silence (deux temps). Quand il eut terminé ses arpèges, elle lui lança « Dis-donc tu joues comme un blanc ! ». À son tour de s'énerver : « Vous les blancs, vous volez notre musique, et après vous dites qu'on joue comme vous »

Je m'approche d'une grande dalle blanche sur laquelle des enfants dansent et rient. Je m'assois près d'eux, ils jouent avec mes cheveux. Après un moment je me lève et les rejoins en essayant de danser comme eux. Eclats de rire. J'aperçois une pierre avec des inscriptions. Il y a un nom, suivi de deux dates...

- Mais... On danse sur une tombe!

On a le droit?

Les enfants ne comprennent pas ma question. Rires encore.

C'est dingue.

Moi aussi quand je serai mort je veux qu'on me transforme en piste de danse, que les arrières-petits enfants de mes petits enfants viennent célébrer en mon endroit.

Il s'agit de la tombe de l'ancêtre de la famille où est enterré l'ancien Naba.

Je descends, m'apprête à quitter les lieux quand le chant d'un vieillard retient mon attention. Je m'assois près de lui, imité par les enfants qui jusque là ne se souciaient pas de lui.

CLIQUEZ POUR ÉCOUTER LE CHANT

 

Le vieux est assis sur une natte, au pied d'un arbuste. Il est aveugle. Il cogne sur une tige en

métal de manière saccadée à l'aide de bagues enfilées aux doigts. Il chante en moré.

Dans l'assemblée juvénile, je me trouve un interprète.

- Il dit quoi?

- Euh... (se concentre) il cite le nom des ancêtres du Naba.

- Ah, c'est une sorte de généalogie?

(regard muet) L'enfant dit oui pour rester poli.

- Et il fait ça depuis quand?

- 150 ans.

L’enfant s'adresse au vieux. Celui-ci tend une main au hasard, je lui donne la mienne. Il pose des questions, l'enfant traduit, nous faisons les présentations.

Je lui dis que j'aime beaucoup son chant. Il m'invite à le filmer. Par chance, j'ai apporté mon micro, et un crayon.

 

Epilogue :

 Avant de quitter je « croque » le visage du danseur. Ils sont assis, se reposent d’avoir danser une journée sans s’arrêter. Encre de chine, à la Pratt, silhouette noire et fond aquarelle.

J’appelle mon « interprète »

- Dis-lui qu’il m’a transmis son art, et qu’en échange je lui transmets le mien »

Je lui tends le dessin, en posant un genou pour m’incliner. Il semble ravi et balbutie un « Merci beaucoup » dans ma langue. Je lui réponds en moré : Barka ! Un hôte s’interpose rapidement entre nous, apparemment contrarié. De toute la journée, personne n’avait adressé la parole aux danseurs. Sans doute ai-je franchi un tabou.

De toute façon, je n’ai jamais été très bon avec les traditions.

Labyrinthe: L'invitation

SUR LE TRIANGLE SE TROUVAIT L'INVITATION SUIVANTE:

 

INVITATION

AU BAL DE L'IMPÉRATRICE

VALIDE POUR UN PERSONNAGE

PRIÈRE DE LAISSER LE RESTE AU VESTIAIRE.

 

Phénomena 2013: bande-annonce

Voici la bande-annonce du Festival Phénomena auquel participe Pourquoi jamais en octobre prochain !

D'ailleurs, vous êtes toutes et tous invité-es au lancement de la programmation au Royal Phoenix (5788, boulevard Saint-Laurent) mardi le 24 septembre de 17h à 19h.

[AVEC : une performance musicale de Guizo LaNuit et de son complice Gigi l’Amour]

Poste restante

Au départ, l'idée était bien simple. Lancée dans un élan d'enthousiasme et adoptée sur un coup de tête.

Partir à vélo, pour oublier un peu les courriels et les piles de vaisselle. Découvrir un coin de pays, sentir chaque kilomètres traverser notre corps. Nous retrouver pour quelques semaines, avec rien d'autre à faire que pédaler, un chez soi accroché au porte-bagage. Parcourir une route qui nous ramènerait à notre point de départ, plus légers.

Et puis il y a eu les listes de matériel à acheter, un budget à respecter et des règles de sécurité routière. Du coup, nous avons eu peur de nous empêtrer dans les détails techniques. Pour ne pas rater cette rencontre avec nous-mêmes, nous nous sommes fixé un rendez-vous quotidien.

Chaque soir, dans nos carnets respectifs, nous avons écrit les réflexions, les souvenirs, les images qui nous habitaient pendant la journée. Pour garder une trace, mais surtout pour nous donner la chance de parodier les incidents, de romancer les anecdotes les plus banales. Un peu aussi pour pouvoir partager, bien humblement, quelques passages de cette aventure gaspésienne sur deux roues.

En relisant nos carnets, nous avons choisi sept journées. Sept paires de fragments qui se font écho d'une manière singulière. Des textes qui posent des regards différents sur des instants communs et que nous avons accompagné d'images fantaisistes. 



Le Bic - 8 juillet 2013

 

Ce matin, alors que tu dormais toi-même dans l’autobus entre Lévis et le Bic, une vieille dame assise sur la banquette à côté de nous s’est réveillée brusquement. En sursautant, elle a laissé échapper un bref cri apeuré, puis a vite constaté son ridicule. Elle s’est excusée timidement (en anglais), puis a cru bon de se justifier : « Oh! I’m so tired! ». En cette fin d’après-midi, alors que nous écrivons côte à côte devant la Baie du Ha! Ha!, je pense à tous ces « Ha! », ces « Oh! », ces exclamations soudaines tirées du grand lexique atavique. Du cri de terreur d’un méganticois pris par surprise dans le brasier de sa ville aux rires enjoués de deux voyageurs à la veille d’un départ.

Jean-Philippe

 

À Lévis, la gare d'autobus est une succursale de Pétro Canada. J'étais déstabilisée : les caissières adolescentes et les publicités de Budweiser dans les fenêtres me paraissaient indignes de l'aventure dans laquelle nous étions sur le point de nous lancer. Au moins, les bourrasques qui balayaient le stationnement avaient une odeur de départ. Le chauffeur n'a pas bronché en nous voyant enfoncer dans la soute nos vélos maladroitement emballés. Pas de regard intrigué, pas de sourire amusé. Décidément, nous n'étions pas les premiers. L'autocar était rempli d'inconnus assoupis dans leur capuchon; c'était le silence complet, à l'exception de nos rires surexcités qui s'emballaient pour la moindre raison. Comme  si nous étions deux enfants investis d'une mission qui tient tout son charme dans le secret.

Camille

 

Ste-Flavie - 10 juillet 2013

 

Aujourd'hui, j'ai craint d'avoir manqué le rendez-vous. Je pédalais une vingtaine de mètres derrière toi, sur un faux plat interminable, quelque part entre Le Bic et Rimouski. Le souffle et les muscles me manquaient pour te rattraper. Je te voyais me regarder sans cesse par-dessus ton épaule, mais les rayons de soleil réfléchis sur l'asphalte m'empêchaient de lire ton visage. Dans le doute, je pouvais supposer ton impatience, tes encouragements, tes inquiétudes. Pour la première fois depuis notre départ, je me suis sentie seule. Seule contre la distance et les dénivelés,  sur ce vélo qu'uniquement ma force pouvait faire avancer.

Camille

 

Tu ne l’as pas connue. Tu sais qu’elle a marqué ma vie. Le verbe est trop fort… Tu sais en tous cas qu’elle est passée dans ma vie. C’est d’ailleurs en passant sur la route du fleuve, à Ste-Luce-sur-Mer, que j’ai pensé à elle. Je voulais te montrer le minuscule chalet où elle m’avait accueilli pour quelques jours, un été, il y a peut-être quatre ou cinq ans. En vain. Malgré le souvenir très clair que j’avais gardé de sa maison mobile blanche en bordure du fleuve, je n’ai rien trouvé à te montrer. Peut-être en va-t-il ainsi des maisons mobiles... Certains jours de grand vent, peut-être décident-elles de prendre le large. Et les amies disparues, que deviennent-elles ? Je pense à Suzette et à défaut de pouvoir te la présenter, je te parle d’une maison disparue.

Jean-Philippe

 

St-Siméon-de-Bonaventure – 16 juillet 2013

 

Le chalet que nous avons loué semble figé au début des années 90. Télévision cathodique surdimensionnée; sofa en velours gris-bleu; meuble multifonctions en mélamine. Ce décor, aidé par les verres de vin, nous replonge dans cette décennie révolue, époque de mon enfance et de ton adolescence. Les équipes d'impro, les cours de piano, les vacances en famille, les défunts animaux de compagnie. Tout nous revient en vrac, sans doute magnifié par le temps. Au moins, l'euphorie des vacances nous tient loin des souvenirs amers. Ce soir, la nostalgie est faite de fou rire; nous retenons les royaumes imaginaires et oublions les insultes de cafétéria. Quand même, au moment de m'endormir, ton corps assoupi contre le mien me rappelle le bonheur d'être adulte.

Camille

 

Nous redécouvrons lentement l’art de la flânerie. Nos vélos, bêtes de somme dans les derniers jours, sont redevenus d’agiles petits véhicules de promenade. Nous gardons encore certains réflexes de routards et mesurons le kilométrage effectué entre le chalet et l’épicerie. Mais notre pédalage a changé. Il est déjà plus désinvolte, moins économe. Il nous arrive de mouliner dans le vide et de faire tanguer le guidon à gauche, à droite, simplement pour garder l’équilibre. Nos préoccupations sont aussi moins rigides, moins dictées par les paramètres de la route à faire. Dénivelés, vents dominants, ravitaillement ne font presque plus partie de nos discussions. Nous parlons de tout, de rien, mais surtout d’autres choses.

Jean-Philippe

 

St-Siméon-de-Bonaventure – 19 juillet 2013

 

Au fin fond de la route Poirier, nous redécouvrons un sentiment qui nous était devenu étranger: l'attente. Dans un chalet sans téléphone, nous attendons des amis qui n'en ont pas non plus. Sur le balcon, le nez dans nos lectures respectives, nous faisons de notre passion un passe-temps. De temps à autre, nous percevons  le grondement d'un véhicule. Chaque fois, je lève les yeux discrètement, feignant de me concentrer sur mon roman.

Après quelques heures, je te demande :

-  Ça ne te stresse pas, toi, de ne pas savoir exactement quand ils vont arriver?

- Pas du tout, je suis absorbé par mon roman.

Tout à coup, un moteur plus bruyant que les autres. Tu remarques « Ça ne peut pas être eux. Ça ressemble plus à un quatre-roues. » Je souris, rassurée de te trouver avec moi dans cette incertitude qui pousse les sens en alerte.

Camille

 

Quelques jours de sédentarité auront suffit à nous donner l’illusion d’être chez nous. Cette habitation nous a rendus nous-mêmes plus solides en nos fondations. C’est entourés de nature, comme depuis le début, mais à l’abri, que nous avons lentement dénoué nos muscles endoloris, que nous nous sommes débarrassés de nos peaux mortes, que nous avons laissé le temps passer tranquillement, comme le flot paresseux de la petite rivière St-Siméon. Et pour mieux partager le plaisir de cette nonchalance, nous avons choisi d’ouvrir notre porte à des amis. Ils se sont aussi sentis chez eux. Avec nous, ils ont aussi laissé le temps faire son œuvre sans plus d’occupation que la veille insouciante de nos besoins immédiats.

Jean-Philippe

 

Percé - 22 juillet 2013

 

Les touristes sont généralement laids. Ils aiment les choses laides qui évoquent de belles choses : un bibelot en céramique qui reproduit en miniature le profil immense d’un cap rocheux ou un coton ouaté gris à l’effigie d’un fou de bassan. Les touristes se déplacent dans des véhicules immondes : des châteaux roulants qui traînent derrière eux des chars d’assaut pour les déplacements légers. Aujourd’hui, nous sommes arrivés dans la petite boule à neige en verre de la Province et nous avons su garder la tête haute. Nous avons joué aux touristes, mais avec l’arrogance chauvine de deux locaux. Ou presque. Nous ne sommes que de passage, mais avons conquis chaque kilomètre de route qui nous a menés jusqu’ici. Ces kilomètres de route nous appartiennent et notre bronzage nous rend beaux. Rien à voir avec les grosses faces rougeaudes de tous ces touristes.

Jean-Philippe

 

Percé, c'est Old Orchard, c'est Key West. C'est n'importe quelle ville du monde où on trouve des magasins de bibelots à tous les coins de rue, mais pas de quincaillerie. C'est l'authenticité résumée par des homards géants en plâtre. Percé, c'est des milliers de sourires niais avec une roche trouée en arrière-plan.  Au moins, nous avons trouvé un restaurant presque vide où le serveur n'était pas déguisé en capitaine de bateau. Autour d'une morue poêlée et d'un demi-litre de vin blanc, nous avons discuté sans effort de choses banales, fascinantes, spirituelles, délirantes. Nous avons ri des autres, du kitsch ambiant, mais surtout de nous-mêmes. Et en marchant pour retourner à notre terrain de camping, un peu malgré nous, nous nous sommes arrêtés pour admirer le rocher. Avec un coucher de soleil, pour le cachet.

Camille

 

Douglastown – 25 juillet 2013

 

À Douglastown, les numéros civiques ne sont pas indiqués sur les maisons. Nous devinons le 6 rue Trachy grâce à son drapeau du Québec qui jure dans ce petit village irlandais. Sur la voiture stationnée dans l'entrée, l'autocollant d'un concessionnaire montréalais nous confirme que nous sommes bel et bien au bon endroit.  La porte est ouverte; juste à côté, un vieux coton ouaté, un bas de pyjama et un chapeau en feutre sont cloués sur la façade en bardeaux de cèdre, imitant la position du Christ sur sa croix. Comme si quelqu'un, ici, avait voulu mourir pompeusement. J'appelle mon amie à travers la moustiquaire. Sans réponse. Je me permets d'entrer et découvre un fouillis sans nom.  Des artefacts accumulés sur les moulures, des affiches de bière et des toiles abstraites affichées côte à côte, des mots d'amour et des versets bibliques griffonnés au plafond. Un décor surchargé qui porte la marque de nombreuses années d'existence : de soirées arrosées, d'amours déçus, de nouvelles rencontres et d'amitiés rompues. L'odeur, un mélange de poussière, de cigarette et de fleurs séchées, réveille en moi cette mélancolie que j'ai facile. Quand je ressors, au bout de quelques minutes, tu me demandes : «  Et puis, c'est comment? » Je reste silencieuse, ne trouve pas de mots assez vastes pour tout nommer. « Rentre. Tu verras par toi-même. »

Camille

 

À vitesse de voiture, le profil des côtes s’adoucit, les nuances de la route s’estompent, les paysages deviennent un peu plus flous. Ce n’est qu’à vitesse de jambes, qu’on peut vraiment apprécier les subtiles variations du territoire : certains villages où la peinture des bicoques s’écaille davantage, certaines montées plus impitoyables, certains vents plus imprévisibles. À mesure que nous avançons, nous nous laissons traverser, il me semble, par une multitude d’expériences diverses qui nous transforment, qui nous inspirent ou, à tout le moins, nous alimentent. Quand je retourne consciencieusement au tracé des courbes topographiques, j’aime à penser que cette ligne brisée irrégulière est une sorte de trace abstraite de notre propre évolution. Tel point correspondant à un moment de découragement dans une montée, tel autre à un moment d’oubli de soi dans une descente. Un autre encore marquant l’instant précis d’un rire sonore dans une maison excentrique de Douglastown…

Jean-Philippe

 

Mont-Louis – 1er août 2013

 

Aujourd'hui, j'ai pêché mon premier poisson. Ça n'avait rien d'un exploit : paraît qu'on attrape les maquereaux par dizaines, à cette période-ci de l'année. Mais pour nous, c'était une aventure. Sur la clôture défoncée du quai désaffecté, l'inscription « Interdit de circuler »  nous rendait déjà fébriles. Et puis, simplement d'être là, au milieu des pêcheurs locaux, avec l'odeur de varech, c'était suffisant. Assez pour faire de ce moment un souvenir.  Quand quelque chose s'est agité au bout de ma ligne, j'ai essayé de cacher mon excitation. Toi, tu as jubilé pour deux. Tu as emprunté un cellulaire au hasard pour  me photographier, le sourire figé et une prise pendouillant au bout de ma canne à pêche. Nous ne reverrons sans doute jamais cette image et n'en avons rien à faire. Si ça se trouve, j'ai les yeux fermés et ton doigt sur l'objectif cache la moitié de mon visage.

Camille

 

C’est presque à notre insu que nous avons traversé les terribles côtes de la Madeleine pour aboutir dans ce havre hippie et chaleureux. Au fil d’arrivée, nous attendaient des jeunes gens dont on ne sait trop s’ils avaient lu Thoreau à la lettre ou s’ils avaient simplement envie de faire le vide le temps d’un été. Étrange retour en société que cette incursion dans l’utopie de Mont-Louis. Comme un condensé de tout ce que peut représenter la Gaspésie pour qui chercherait à se réinventer. Et nous, dans tout ça, avons-nous grandit de cette traversée ? Quelque chose me dit que ce n’est pas dans la bière du Sea Shack que nous trouverons notre réponse. Mais peut-être plutôt dans les regards complices que nous échangerons désormais lorsque nous penserons à ce périple gaspésien.

Jean-Philippe

RDV

Antilexique: Connexion. Simultanéité. Synchronisme. Convergence. Mosaique.
Combinaison. Jonction. Assemblage. Amalgame. Sollicitation. Confusion.
Agglomération. Réunion. Synthèse. Conciliabule. Observation. Destin. Combat.
Débat. Composition. Bagarre. Fusion. Consultation. Agrégation. Match. Étreinte.
Métissage. Corporation. Hasard. Correspondance. Bienvenue à notre rendez-vous!

 


 

Labyrinthe : Les triangles (IV)

Et il pleuvait à grosses gouttes sur la Capitale. La pluie coulait le long de la vitre sale de l’Hôtel des Morts-Lentes. Les dernières bougies des festins s’éteignaient et je ne savais pas depuis combien de temps j’étais ici. La déferlante des heures, des jours et peut-être même des années affectait mon jugement. Je n’avais jamais cru pouvoir rester figé dans un lieu aussi longtemps. La tristesse devant le vide qui m’entourait ne provoquait plus rien en moi. J’avais peur de commencer cette grande guerre, celle pour laquelle j’avais traversé le labyrinthe; maintenant que j’étais si près du but, je ne savais plus dans quel camp j’étais.
 
Sur le mur de ma chambre se trouvait une étrange œuvre d’art, signée d’une thématique qui s’ouvrait sur une grande question. Une œuvre d’un ancien collectif perdu et aspiré par le labyrinthe des années plus tôt. Je reconnus cette signature pour l’avoir déjà vue maintes fois en graffitis sur les murs : « Pourquoi jamais? » Soudain, je fus pris de vertige, je me trouvais en pleine nature dans une immense cabane de bois. Les chandelles étaient la seule source d’éclairage et dehors un violent orage battait les vitres du camp.
 
Franchir le dernier chemin, le feu qui brûle. Coulent, telle de la cire fondue, les verres de gin qui engluent les souvenirs. Les glaçons s’entrechoquent au fond du verre. Une cigarette s’éteint sur la dernière ligne écrite. Partir au loin faire la guerre dans un empire de sable mouvant. Embrasser un mannequin vedette de cinéma. Traverser la mer pour rencontrer un vendeur d’armes et devenir son ami. S’évader de la plus haute forteresse. La chandelle se consume et je me vois allumer un cierge dans un lointain monastère. Brûler les espérances, brûler les drapeaux, brûler les mots.
 
Quand je revins à moi dans la chambre, la chandelle brûlait déjà le tapis et progressivement les rideaux s’enflammèrent. L’Hôtel des Morts-Lentes ne serait bientôt plus qu’un mauvais souvenir. Quelque chose m’avait enfin libéré de ce lieu maudit. Je revenais enfin à l’essentiel. Il était temps de passer à l’Est. Je me mis de nouveau en marche dans les rues de la Capitale. Lorsque je plongeai les mains dans mes poches, j’en sortis, étonné, une clé en forme de triangle.
 
-Lac Carré nuit du 25 mai
(Merci à mon père pour les idées et surtout la correction)

Convergence des potentiels

Un lieu, enfin. Un rendez-vous, coin William et Eleanor, quelque part entre décembre 2015 et mai 2016. Du concret qui perce notre bulle jusque là construite de rêves. Et qui déstabilise.

Nous regarderons la ville de bas en haut, nous qui sommes habitués au contraire. Notre champ de vision nordique sera obstrué par les gratte-ciel, par les tours à bureau, le centre-ville dans toute son exubérance. Nous verrons Montréal autrement, verrons quotidiennement son américanité, ses tailleurs et ses complets, sa frénésie qu'on se gardait pour les occasions spéciales.

Amener du contraste

Balancer les couleurs

Dans un quartier laboratoire

titanesque pour êtres urbains

créer des îlots de chaleur

humaine

Car il ne faut pas se fier aux apparences. Avec de la chance, il y aura encore les vestiges d'avant, les restes d'une époque révolue, ouvrière et populaire. De quoi s'attacher au quartier, se rattacher à ses racines. Et il y aura le canal, sans doute plongé dans l'ombre par des nids d'oiseaux rares, mais où coulera toujours cette même eau, un cycle qui se renouvelle sans cesse, et où s'étirent des chemins aux détours invitants.

Canal et basse ville

Y investir les interstices et faire germer des vivaces

Créer du chez-soi collectif

et planter des tournesols

à l'ombre des tours à condos

Et il y aura toujours les symboliques bancs d'église à l'air libre qui contemplent les grands arbres, comme s'il fallait saisir ce mince espoir verdoyant, cette nature qui se déploie envers et contre tout, et s'en faire une foi.

Au moment où l'on choisit

le moins facile l'inattendu le pas très confortable

on sait que l'on s'en va d'autant plus

vers un futur à bousculer, démultiplier et confronter, vers un futur à créer.